SOMMAIRE
CPS N° 91                                                                                                                            5 OCTOBRE 2002

ITALIE : LES ENJEUX D’UN COMBAT
Le samedi 14 septembre, une fois encore, des centaines de milliers de manifestants se sont rassemblés à Rome contre le gouvernement Berlusconi et ses projets de lois, l’un de ces projets visant à mettre définitivement Berlusconi à l’abri de toutes poursuites judiciaires qui sont engagées depuis des années contre lui. Déjà, durant l ‘été, une réforme de délit de falsification de bilan a permis de le protéger de trois des affaires en cours. La nouvelle loi sur le " soupçon légitime " à l’égard d’un juge donnerait à Berlusconi la possibilité de bloquer le dernier dossier qui le menace pour corruption de magistrat. Autre projet contesté : une loi favorisant l’une des trois chaînes de télévision que possède, entre autres, le magnat des communications. Cette manifestation du 14 septembre fait suite aux puissantes manifestations et grèves qui, au printemps dernier, avaient éclatée contre la politique ultra réactionnaire du gouvernement Berlusconi ( mobilisation dont CPS a rendu compte dans son précédent numéro).

Rappelons que ce gouvernement -le second à être dirigé par Berlusconi- a été mis en place en juin 2000, succédant alors au gouvernement dit de " l’Olivier ", composé pour l’essentiel (ou appuyé) par les partis ouvriers italiens en alliance avec des partis bourgeois. Ce gouvernement de l’Olivier avait lui-même été instauré à l’issue d’une crise politique sans précédent qui avait culminé avec la disparition brutale du principal parti bourgeois italien, la Démocratie chrétienne, disparition concomitante à celle du Parti socialiste italien qui avait, des années durant, gouverné l’Italie de concert avec la Démocratie chrétienne. Le gouvernement de l’ " Olivier " avait alors comme principale fonction de permettre la résolution d’une crise politique d’une rare brutalité, crise qui est aujourd’hui loin d’être résorbée du fait du non règlement, pour l’essentiel, de ses causes profondes. Or, les enjeux de la violente crise politique qui a touché, et touche encore la bourgeoisie italienne et ses partis, en particulier à partir de 1992, ne sont pleinement compréhensibles que si l’on rappelle dans quelles conditions l’Etat bourgeois italien fut reconstruit à la fin de la seconde guerre mondiale, et comment put être instaurée la première République en 1947-48. C’est d’abord sur cette période qu’il est indispensable de revenir.

I. 1943-45 : EFFONDREMENT DE L’ÉTAT BOURGEOIS ITALIEN.

Le 10 juillet 1943, le débarquement anglo-américain en Sicile sonne le glas du régime fasciste italien, lequel avait été mis en place à partir de 1922. Il est à ce moment là manifeste pour la bourgeoisie italienne, un an après la défaite de l’armée allemande devant stalingrad et alors que de l’armée italienne a elle-même accumulé les défaites, que la guerre est perdue. Il s’agit maintenant pour cette bourgeoisie impérialiste d’éviter une débâcle totale afin de préserver l’essentiel. Or, non seulement tout résistance militaire serait illusoire face à l’année américaine et à ses alliés, mais la bourgeoisie italienne redoute que la prolongation des combats sur le territoire italien soit mise à profit par le prolétariat et les masses pour relever la tête après vingt années de dictature fasciste. Déjà de grandes grèves et occupations d’usines ont eu lieu au moins d’avril 1943 en Italie du Nord. Il lui faut donc sacrifier le régime fasciste pour maintenir la continuité de l’appareil d’Etat bourgeois. Le 25 juillet 1943, le Grand Conseil du fascisme destitue donc Mussolini. Puis le roi Emmanuel III, celui-là même qui avait nommé Mussolini président du Conseil après le coup de force du 22 octobre 1922, fait arrêter Mussolini et nomme Pietro Badoglio chef du gouvernement. Celui-ci est chargé d’assurer la continuité de la monarchie et fait réprimer les manifestations spontanées qui éclatent à la suite de la déposition de Mussolini. Le 3 septembre, les troupes alliées débarquent en Calabre : l’Italie capitule alors sans condition et l’armistice est rendu publique le 8 septembre 1943. La riposte du régime hitlérien est immédiate : les troupes allemandes envahissent l’Italie. Mussolini, libéré, est mis à la tête d’un régime fantoche au service de l’Allemagne, la " République sociale " italienne. L’Etat italien est ainsi brisé : au Sud, " le royaume d’Italie " gouverné par Badoglio, sous contrôle anglo-américain, qui déclare la guerre à l’Allemagne le 13 octobre 1943 ; au Centre et au Nord, le régime restauré de Mussolini, qui se trouve aussitôt confronté à un puissant mouvement de résistance.

Or cette résistance contre les troupes d’occupations allemandes, conduite pour l’essentiel par le prolétariat, est aussi une lutte contre les forces fascistes italiennes ; la situation devient aussi celle d’une guerre civile qui va se prolonger durant dix-huit mois, jusqu’en avril-mai 1945.

Pour la plupart, les résistants sont des ouvriers et, au sein des organisations de Résistance, les militants et sympathisants du Parti communiste et du Parti socialiste sont très largement majoritaires. Parmi les milliers de brigades répertoriées, 575 sont des brigades " Garibaldi " liées au PCI, 70 des brigades Matteotti liées au Parti Socialiste. Tandis que d’autres sont dites " autonomes ".

Les occupations d’usines et la constitution de comités de grève se multiplient, de même les occupations de terres par les paysans pauvres.

Pour les travailleurs italiens, au delà de la liquidation du régime fasciste (les troupes allemandes en Italie capituleront le 25 août 1945), c’est de la destruction du système capitaliste et de son Etat dont il s’agit. Ainsi donc, en 1944-45, la bourgeoisie italienne n’a pu échapper à ce que précisément elle avait cherché à éviter en 1943 : le surgissement d’une situation révolutionnaire.

LE RÔLE DÉCISIF DU PCI

Pour faire refluer cette mobilisation révolutionnaire, pour protéger le capitalisme italien et reconstruire l’Etat bourgeois, le rôle du Parti communiste italien, de ses dirigeants va être à ce moment là décisif, ainsi que celui du Parti socialiste.

Dès la destitution de Mussolini, et alors qu’un mouvement de résistance se développe spontanément, les dirigeants du PCI et du PSI mettent en place un Comité de Libération Nationale (C.L.N) qui intègre des formations politiques bourgeoises nouvellement constituées (Démocratie chrétienne, Parti d’action…). Ainsi, au nom de la lutte " contre le fascisme " et pour " la libération nationale ", le mouvement ouvrier est-il inféodé à des forces politiques dont l’objectif est de préserver le capitalisme, et pour cela de restaurer l’Etat bourgeois italien au plus vite.

Pour les gouvernements alliés, et notamment le gouvernement anglais, ceci passe par le maintien du roi et du maréchal Badoglio au pouvoir, et par le rétablissement d’une monarchie " constitutionnelle " sur toute l’Italie.

Non sans difficultés. Car l’opposition des masses à la monarchie et à Badoglio est telle que, peu ou prou, les partis qualifiés " d’anti-fasciste " (partis ouvriers et certains partis bourgeois) sont amenés à se prononcer, en janvier 1944, contre le maintien du gouvernement Badoglio. L’abdication du roi est demandée, ainsi que l’élection immédiate d’une Assemblée constituante.

LE RÔLE DES MOTS D’ORDRE DÉMOCRATIQUES

Mais une Assemblée constituante, pour quoi faire ?

Certes, l’unification de l’Italie (en 1861), avec la constitution d’un Etat bourgeois, s’est faite tardivement et la " révolution bourgeoise " italienne est manifestement inachevée : absence de réforme agraire véritable, maintien d’une monarchie flanquée d’un parlement élu sur la base d’un droit de vote limité, sans même de réelle constitution écrite (la base se réduit au " statut de Charles Albert " qu’une simple loi suffit à modifier), etc.… Mais c’est néanmoins dans le cadre d’un marché national unifié, protégé par un Etat bourgeois constitué, que s’est développé le capitalisme italien, et avec lui le prolétariat italien (cf. CPS n° 45 décembre 1992) Et l’objectif central du prolétariat ne peut être, en 1944, de restaurer l’Etat bourgeois, fût-il doté d’un régime parlementaire : c’est d’exproprier la bourgeoisie, de liquider l’Etat bourgeois pour construire un Etat ouvrier, ce qui implique le développement des conseils d’usines et de soviets, et leur centralisation. Mais après deux décennies de dictature fasciste, les mots d’ordre démocratiques (y compris celui d’Assemblée constituante) peuvent être utilisés par les masses pour se rassembler, mêlés à des mots d’ordre de transition tels que l’expropriation des capitalistes, l’armement généralisé du prolétariat, le pouvoir aux conseils ouvriers.

Dans une situation telle que celle de l’Allemagne ou de l’Italie en 1944, un mot d’ordre d’Assemblée constituante pouvait donc être utilisable pour le prolétariat, même s’il avait vocation à être très vite dépassé. Trotsky notait ainsi à propos de l’Allemagne tenue sous le joug nazi : " Dans le cour du réveil révolutionnaire des masses, les mots d’ordre démocratiques constitueraient inéluctablement le premier chapitre. "

Et en Italie, en 1943, après plus de vingt années de despotisme mussolinien, la réalisation des droits démocratiques les plus élémentaires étaient une exigence générale. Mais le rétablissement de ces droits (ou pour certains d’entre eux, leur simple établissement), comme l’exigence d’une Assemblée constituante, s’opposait au maintien du roi et Badoglio, et ouvrait la voie à l’affrontement avec le bourgeoisie. En cela, ces mots d’ordre étaient dangereux pour l’ordre bourgeois.

" LE TOURNANT DE SALERNE "

C’est Staline, et le PCI à la suite, qui va, par une intervention brutale, permettre la survie du gouvernement Badoglio que les masses veulent chasser. Le 13 mars 1944, de manière apparemment inattendue, Staline et la bureaucratie du Kremlin reconnaissent la légalité de la nomination de Badoglio par le roi Victor Emmanuel III. C’est un premier coup de poignard dans le dos du prolétariat italien. Aussitôt le nouveau dirigeant du PCI, Togliatti, de retour de Moscou, propose d’intégrer le gouvernement Badoglio et de renvoyer à plus tard la question de l’Assemblée constituante. : applaudissent les catholiques de la D.C et de leur dirigeant De Gasperi, tous prêts à collaborer avec le roi. Alors seulement les autres partis bourgeois dits " anti-fascistes " ainsi que le PSI entrèrent au gouvernement. Ce fut ce que l’on appela la " svolta di Salerno " : la reconstruction de l’Etat bourgeois italien, par la transition ainsi organisée avec l’ancien régime de Victor Emmanuel III et de Mussolini, pouvait s’engager.

En juin 1944, Rome était abandonnée par les troupes allemandes. Conformément aux transactions antérieures organisées par Churchill, le roi Victor Emmanuel III compromis avec le fascisme laissant la place à son fils tandis qu’un socialiste, Bonomi, devenait chef du gouvernement. Un décret décidé que la mise en place d’une Assemblée constituante se fera quand toute l’Italie aura été libérée. Cette libération complète est effective au printemps 1945, l’insurrection dans les grandes villes du Nord précédant l’arrivée des troupes anglo-américaines. Mais, conformément aux ordres donnés par les dirigeants du PCI et du PSI, la plupart des résistants rendirent alors leurs armes.

Le 20 juin est installé le premier gouvernement d’après guerre, conduit cette fois par Ferruccio Parri, dirigeant d’une formation bourgeoise, le Parti d’action. Ceci n’est qu’un transition vers un deuxième gouvernement formé en décembre 1945, incluant tous les partis dits " antifasciste " du Comité de Libération Nationale et dirigé par le démocrate chrétien De Gaspéri : l’épuration engagée contre les fascistes était suspendue, les préfets et hauts fonctionnaires nommés par le Comité de Libération de Nord et la propriété privée des moyens de production soigneusement protégée. Quant aux élections pour l’Assemblée constituante, elles étaient renvoyées à plus tard. Dès lors, cette Assemblée n’aurait plus comme fonction que d’entériner la pleine restauration de l’État bourgeois. Restait à trancher la forme de l’État bourgeois : république parlementaire ou monarchie constitutionnelle, décision qui aurait dû incomber à cette Assemblée constituante. Mais le Vatican et une grande partie de la DC étant résolument favorable au maintien de la monarchie, il fut décidé que cette question ferait l’objet d’un référendum préalable. De même fut-il décidé que cette assemblée ne pourrait adopter aucune loi, l’exclusivité du pouvoir législatif demeurant aux mains du gouvernement d’union nationale : tout ceci en accord avec les autorités américaines et les dirigeants du PCI et du PSI.

Dès lors, et en l’absence de Parti révolutionnaire, le mouvement des masses ainsi entravé ne pouvait que refluer : l’ordre bourgeois était rétabli. Ce reflux s’exprima aux élections pour l’Assemblée constituant de juin 1946, la Démocratie chrétienne obtenant à elle seule 35.2% des suffrages exprimés sans compter les autres partis bourgeois. Pourtant, le PCI obtenait 18.9% et le Parti Socialiste (appelé PSIUP de 1943 à 1947) 20.7%. Et le Vatican et la Démocratie chrétienne ne purent empêcher que, lors du référendum d’avril 1946, la dynastie monarchique soit balayée et une République parlementaire instaurée.

MISE EN PLACE DE LA PREMIÈRE RÉPUBLIQUE

De juin 46 à mai 1947, deux gouvernements dirigés par De Gaspéri et incluant le PSI et le PCI se succèdent, oeuvrant à la reconstruction de l’économie capitaliste et au renforcement de l’appareil d’Etat. Les anciens fascistes, emprisonnés ou inculpés, sont réhabilités et réintègrent leurs fonctions dans l’armée, la police, la justice, tandis que les anciens résistants sont éloignés.

Ainsi, la vague révolutionnaire de 1944-45 est contenuegrâce à la sainte alliance contre révolutionnaire de l’impérialisme américain et de la bureaucratie du Kremlin. Mais face au danger que constitue le prolétariat (grève à Renault en janvier 1947, grèves en Allemagne…), l’impérialisme américain doit modifier son plan. Il renonce à transformer l’Europe " en champ de pommes de terre " et doit impulser la reconstruction des États bourgeois et de leur économie. En application du discours prononcé par Truman devant le congrès américain en mars 1947, le PCI (comme le PCF) sont exclus de leurs gouvernements respectifs.

Le gouvernement italien s’aligne résolument sur le gouvernement américain, dont il va devenir le protégé. De Gasperi décide de rompre avec le PCI. En ce qui concerne le Parti Socialiste, dès janvier 1947, une minorité conduite par Saragat et favorable à la rupture avec le PCI, avait fait scission. (Cette scission deviendra en 1952, le PSDI, Parti Social Démocrate italien). Mais la majorité du Parti Socialiste, avec Pietro Nonni, était pour le maintien du parti d’unité d’action conclu avec le PCI. De ce fait, la décision prise par la Démocratie chrétienne de mettre fin au gouvernement avec le parti communiste entraîna également la rupture avec le Parti socialiste. Le nouveau gouvernement De Gasperi, présenté le 31 mai 1947 et composé exclusivement de démocrates chrétiens et de " techniciens ", obtient l’appui des députés monarchistes te de ceux pro-fascistes.

La collaboration du PCI et du PSI avec la Démocratie chrétienne ne cessa pas pour autant et se poursuivit sereinement au sein de l’Assemblée et des commissions chargées de préparer la nouvelle constitution en décembre 1947 c’est ainsi que cette constitution inclut la reconnaissance du traité de Latran qui avait été conclu en 1929 entre le Vatican et le régime fasciste, concordat parfaitement contraire aux libertés bourgeoises les plus élémentaires. Il proclame en particulier le catholicisme, religion officielle de l’Etat, impose l’enseignement religieux dans les écoles publiques, donne au mariage religieux une valeur légale, etc.. On échappa de justesse à l’indissolubilité du mariage. Et si les écoles privées étaient autorisées, c’était " sans charge de l’Etat ".

Tout ceci fut voté avec la bénédiction des dirigeants staliniens du PCI mais sans l’appui ni du PSI ni du Parti d’action. En janvier 1948, la Ière République était installée. Et le gouvernement s’élargissait au groupe " social-démocrate " de Saragat. La bourgeoisie ayant ainsi entièrement repris l’initiative, la Démocratie chrétienne triomphe aux élections législatives de 1948, avec 48.5% des suffrages et 305 députés pour 574 sièges, tandis que le " Fronte populare " incluant PCI et PSI recueillait 31% des voix. L’hégémonie de la DC était désormais incontestable. Dans le cadre des " trente Glorieuses " et de la C.E.E., et sous l’impulsion de l’Etat, le capitalisme italien allait connaître un essor important, se prolongeant dans les années quatre-vingt. Néanmoins, comme sous produit de la vague révolutionnaire de la fin de la guerre, et en dépit de toute le politique conduite par le PCI et le Parti socialiste, la classe ouvrière italienne avait acquis outre l’élimination de la monarchie le rétablissement des libertés démocratiques, voire l’extension de certaines d’entre elles, ainsi que des concessions sociales et économiques importantes (fondamentales. Ce sont ces acquis, dont certains ont été renforcés au cours des décennies suivantes, que la bourgeoisie italienne a entrepris aujourd’hui de remettre en cause.

II. LES ANNÉES 1948-1967

L’ESSOR DU CAPITALISME ITALIEN

C’est dans le cadre des "trente Glorieuse" et de la constitution de la Communauté des États européens (CEE), que le capitalisme italien de ces deux décennies connaît un grand essor, lequel se prolonge, de manière irrégulière, jusque dans les années 1980. Cette croissance est particulièrement forte entre 1956 et 1963, le taux de croissance dépassant 8% en 1961.

À l’échelle mondiale, la production et les échanges internationaux croissent rapidement. Entre 1955 et 1970, ils sont multipliés par près de 2,9. À partir de 1958, la CEE est établie et en 1968 les droits de douanes entre les six premiers membres de la CEE, dont l’Italie, sont supprimés. Les échanges à l’intérieur de la CEE sont multipliés par dix entre 1958 et 1972.

Il faut préciser qu’en ce qui concerne l’Italie, l’État bourgeois joue un rôle décisif pour impulser, financer et orienter la reconstruction d’après guerre puis le développement économique. L’État intervient en particulier à travers des "enti" à participation d’État ayant le statut de sociétés privées par actions. C’est le cas de l’IRI, hérité du régime mussolinien, qui se développe dans la construction mécanique, les autoroutes, les radios et télévision, etc…

Autre holding : l’ENI, constitué en 1953, devenu très vite un gigantesque monopole dans le pétrole, le gaz, la chimie ainsi que dans d’autres innombrables secteurs.

Pour tenter de pallier au retard économique croissant du Sud de l’Italie est créée la "Cassa per il Mezzorgiono" qui prend en charge une pseudo-réforme agraire votée en 1950. Il s’agit en fait de mettre fin aux occupations de terre qui se sont multipliées dans le sud à partir de 1943 et 1944, sévèrement réprimée jusqu’en 1949 encore. La loi de 1950 redistribue 700 000 hectares de terres non exploitées à 120 000 familles, les propriétaires des latifundias étant indemnisées par l’État. incapable de survivre sur ces minuscules propriétés, la grande masse de ces nouveaux paysans va ensuite participer à l’émigration massive des travailleurs italiens du Sud vers le Nord industrialisé.

La croissance est alors d’autant plus forte que les salaires progressent moins vite que la production et que les profits, qui explosent, favorisent l’investissement.

Une récession limitée touche l’économie italienne de 1963 à 1965 puis l’expansion reprend de 1965 à1969, accompagnée d’une puissante mobilisation du prolétariat.

DES ACQUIS INCONTESTABLES

Durant ces décennies, le prolétariat italien arrache des réformes, d’importantes améliorations de ses conditions de vie et de travail, des augmentations considérables de pouvoir d’achat. comme pour le prolétariat et la jeunesse des autres pays capitalistes dominants, ceci résulte de sa combativité et de sa puissance. C’est en quelque sorte un sous produit de la vague révolutionnaire de la fin de la seconde guerre mondiale et des années suivantes, de ses prolongements et rebondissements, comme le furent en Italie après 1945 le rétablissement des libertés démocratiques, l’élimination de la monarchie et l’institution de la République.

Encore a-t-il fallu que la bourgeoisie puisse faire ces concessions. Dans un premier temps, il s’est agit d’un rattrapage après que les conditions d’existence, le pouvoir d’achat des travailleurs aient considérablement reculé au cours de la guerre. Dans une deuxième étape, marquée par une réelle ert importante amélioration des conditions de vie et de travail, du pouvoir d’achat de la classe ouvrière, la bourgeoisie a pu faire des concessions parce que conjointement le taux d’exploitation, le taux de la plus value augmentait et que le taux de profit restait, du point de vue du capital, satisfaisant. Une nouvelle accumulation de capital, une croissance considérable des moyens de production et de la production avaient lieu.

C’est par rapport à ce cadre que doivent être considérés les développement successifs de la lutte des classes en Italie durant ces décennies.

1948-1960 : LA DÉMOCRATIE CHRÉTIENNE HÉGÉMONIQUE

Duant des années, l’hégémonies de la DC est incontestable, et les diférents gouvernements se succèdent constitués par des coalitions analogues dites du "quadripartisme" : la DC dirige ainsi avec le renfort de trois autres partis, le Parti Républicain (PRI), le Parti Libéral (PLI) et le PSDI, parti issu de la scission opérée au sein du PSI par Saragat. Dès cette époque, l’instabilité politique est une caractéristique du système politique italien, conséquence du mode d’élection strictement proportionnel des députés et des sénateurs : 59 gouvernements vont se succéder de 1945 à 2001.

Mais cette instabilité est longtemps compensée par la continuité de l’hégémonie démocrate-chrétienne, la permanence du personnel politique qui se partage le contrôle de l’État et des prébendes avec les représentants des trois autres partis.

La politique conduite durant ces années est profondément réactionnaire. Durant la prmière législature (1948-1953) et les gouvernements de Gaspéri, nombre de mesures prises vont dans le sens de la restauration de l’ancien régime monarchiste et fasciste. La Constitution est en partie vidée de son contenu par la cour de cassation qui considère qu’il n’est pas nécessaire d’abroger immédiatement toutes les anciennes lois fascistes. Ainsi le prolongement de la garde à vue, l’interdiction des manifestations, la censure de la presse et du cinéma, peuvent-ils être décidés au nom de l’ancienne législation fasciste.

Dès 1952, l’hégémonie de la DC se fissure. Afin de la préserver, De Gaspéri fait adopter une loi électorale qui remet e cause la stricte proportionnalité c’est la "legga truffa", la loi scélérate, qui donne 64% des sièges à une coalition qui obtiendrait plus de 50% des suffrages. Mais aux élections de 1953, la coalition du "quadripartito" organisée autour de la DC échoue de epu à atteindre le seuil de 50% : la DC perd 8% des suffrages par rapport à 1948, les trois autre partis s’effondrent. ces reculs se font, pour l’essentiel, au profit des néofasciste (d’organisations issues du fascisme et du monarchisme).

Si la démocratie chrétienne conserve alors le pouvoir, De Gaspari doit alors laisser la place à Fanfani et à une nouvelle série de dirigeants. Et la "Legge truffa " est abrogée, le système proportionnel est même renforcé. Désormais, et jusqu’à la fin des années 1980, s’attaquer à cette proportionnalité sera considéré comme une scélératesse. Dans le même sens, au cours de la deuxième législature (1953-1958) et de la suivante, sont mise en œuvre un certain nombre de mesures constitutionnelles au détriment de l’héritage fasciste. C’est à la fin des années 1950 que le corps de la magistrature, au sein de l’appareil d’État, acquière une relative autonomie à l’égard du ministre de la justice. Mais ces éléments n’inverse pas pour autant la tendance qui domine à partir de 1949 et jusqu’à la fin des années cinquante : une politique violemment anti-ouvrière, marquée par la répression policière qui frappe le mouvement ouvrier (en particulier entre 1949 et 1951) et les militants syndicaux souvent licenciés. Ce sont des "années noires" pour le mouvement ouvrier, qui plus est , est affaibli par la division syndicale : la CGIL, reconstituée comme centrale syndicale unique depuis 1944-45, a été démantelée en 1948 puis 1949 trois organisations confédérales en résultent.

Cette tendance générale culmine, en 1960, avec le cabinet tombroni qui est formé grâce au soutien des députés du parti néofasciste, le MSI. Contre la politique de ce gouvernement, les manifestations et les grèves se multiplient. En juillet 1960, Tambroni autorise le parti néofasciste à tenir son congrès à Gènes ce qui est une véritable provocation : dans ce bastion ouvrier qu’est Gênes.

La répression nazie, en 1944-45, avait été particulièrement féroce. Contre ce congé, c’est une véritable insurrection populaire qui a eu lieu, spontanée à gênes et dans d’autres villes. Les interventions de la police, qui a conservé ses anciens officiers fascistes, provoquent de nombreux morts et blessés. L’ordre bourgeois est rétabli. Mais Tambroni doit présenter sa démission le 17 juillet 1960. Face à une classe ouvrière qui relève la tête, l’homme est venu pour la bourgeoisie italienne.

ANNÉES SOIXANTE : LE PSI EN RENFORT

Dès le début des années 1960, les luttes ouvrières se multiplient, imposant au patronat nombre de concessions. Le mouvement ouvrier se renforce, alors que, dans un même temps, l’hégémonie de la DC s’affaiblit, ce qui s’exprime lors des élections de 1963 : pour la première fois, la DC passe sous le seuil de 40%, à 38,3%, alors que le PCI et le PSI regroupent plus de 39% des suffrages, en hausse de 2,2%.

À la suite de ces élections, la démocratie chrétienne met en place, pour la première fois, un nouveau type de gouvernement "quatropartito" qui, outre la DC, le PDSI et le PRI, inclut le Parti socialiste Italien dirigé par Nenni. Ce gouvernement dirigé par Aldo Moro, gouvernement bourgeois avec la participation d’un parti ouvrier, offre l’avantage pour la bourgeoisie de diviser durablement la classe ouvrière, contribue à la désorienter, et rend plus difficilement saisissable l’exigence d’un gouvernement des seules organisations ouvrières. en outre l’entrée du PSI au gouvernement provoque aussitôt son explosion : 23 députés et 10 sénateurs socialistes refusent la confiance au cabinet Moro. Un nouveau parti, le PSIVI est constitué en 1964. Corrélativement, ce qui reste du PSI avec Nenni, se rapproche du PSDI de Saragat : les deux groupes sont désormais d’accord sur l’essentiel, participer aux gouvernements de la Démocratie Chrétienne. Ils créent ensemble, le PSU en 1967. Mais aux élections de 1968, avec 14,5% des voix, ils recueillent 5,4% de moins qu’ils n’en avaient obtenu séparément en 1963.

Ceci importe peu : l’essentiel pour la bourgeoisie, ses partis et les dirigeants des organisations ouvrières, que ceux-ci soient à l’intérieur ou à l’extérieur du gouvernement, est alors de tout faire, quel qu’en soit le prix, pour affronter la puissante vague de mobilisation ouvrière qui commence à déferler.

III. LES ANNÉES 70-90 :

CRISE AIGUË DU CAPITALISME ET MOBILISATION RÉVOLUTIONNAIRE DES MASSES

1968 marque le début d’une nouvelle période de la révolution : grève générale en France, mouvement de nature révolutionnaire en 1968 en Tchécoslovaquie, radicalisation de la lutte nationale du peuple palestinien, mouvement des étudiants polonais puis, en décembre 1970, grève générale des travailleurs polonais des ports de la Baltique… d’innombrables mobilisations marquent cette période durant laquelle éclate au grand jour le profond pourrissement de l’économie capitaliste dans son ensemble : le 15 août 1971, le président américain Nixon est contraint de décréter que le dollar n’est désormais plus convertible en or : c’est l’effondrement du système monétaire international constitué en 1944. Pour faire face à cet effondrement, les pays membres de la CEE mettent en place un premier palliatif : le serpent monétaire européen. Un seul pays n’est pas en mesure en 1972 d’adhérer à ce SME : l’Italie, où la mobilisation des travailleurs et des étudiants a été d’une ampleur exceptionnelle.

1969 L’AUTOMNE CALDO

En Italie, dès 1966, des mobilisations se développent dans les universités, en relation avec les mobilisations ouvrières. de grandes grèves éclatent en 1967, et se multiplient avec les manifestations en 1968. Le gouvernement est contraint de faire d’importantes concessions. En février 1969, une loi améliore de manière substancielle les retraites, portées à 74% du salaire des cinq dernières années. Mais les grèves se poursuivent.

En septembre 1969, la direction de Fiat ayant décidé de suspendre 20 000 ouvriers à la suite de grèves partielles, la grève générale éclate. C’est "l’automne chaud" : des millions de travailleurs en grève, pendant près de trois mois. Protégeant le gouvernement, les partis ouvriers refusent de poser la question du pouvoir, de mettre en avant l’exigence d’un gouvernement des seuls partis ouvriers. Et les dirigeants des confédérations syndicales légitiment ce gouvernement en négociant avec lui, obtenant la satisfaction de certaines revendications mais permettant la reprise du travail. Cette politique consista ainsi à "cavalcare la tigre della contestazione". Néanmoins, la mobilisation des travailleurs demeura extrèmement importante jusqu’en 1973.

C’est pour y faire face que la bourgeoisie Italienne eut recours à la "stratégie de la tension".

1969-1982 : LES ANNÉES DE PLOMB

C’est durant ces années que se multiplient les attentats terroristes, à l’initiative d’abord de groupes fascistes, avec l’appui ou la protection de certains éléments de l’appareil d’État. le premier massacre a lieu piazza Fontana, à Milan, le 12 décembre 1969. On estime à plusieurs milliers les attentats qui eurent lieu dans les années suivantes, nombre d’entre eux étant attribués à des "brigades rouges" vraisemblablement instrumentalisées par les services spéciaux de l’appareil d’État. les événements culminent, en 1978, avec l’enlèvement et l’assassinat d’Aldo Moro, dirigeant de la DC, par des brigades rouges. Ils de poursuivent encore en 1980, avec l’attentat de Bologne.

La fonction de ces activités terroristes est de susciter la peur, de permettre le renforcement de l’appareil répressif et d’une législation liberticide, et d’essayer d’avancer vers l’instauration d’un " Etat fort ", d’un Etat policier. Et c’est un outil pour entraver la mobilisation de la classe ouvrière.

Pour l’essentiel, cette " stratégie de la tension ", dans la forme qu’elle a revêtue de 1969 à 1974, n’a pas atteint son but principal : instaurer un " Etat fort ". Elle s’est brisée sur la résistance de la classe ouvrière, de la jeunesse et des masses exploitées qui ont su maintenir leurs revendications.

Cette résistance s’exprime aussi, en 1974, à l’occasion du référendum sur le divorce : en dépit de la campagne menée par le Vatican et la Démocratie chrétienne, ceux-ci sont battus par près de 6% des suffrages.

Pour le gouvernement, la situation devient de plus en plus difficile. La classe ouvrière montre de nouveau une grande disponibilité au combat, ce dont témoigne les grèves et manifestations spontanées de janvier 1976 à Milan.

Pourtant, le PCI apporte tout son soutien à la politique anti-ouvrière du gouvernement. Le 4 avril 1976, le dirigeant stalinien Amendola explique : " il est parfaitement nécessaire de contenir les dépenses publiques et certaines consommations non indispensables (…). Le PCI a toujours combattu l’abstention dans les entreprises et s’est engagé à apporter sa contribution à l’augmentation de la productivité. "

Mais le PSI n’en peut plus de soutenir la DC. Le même 4 avril, conformément aux accords de Latran, la DC vote avec les néo-fascistes un article de loi réprimant l’avortement. Le PSI retire alors son soutien au gouvernement, qui tombe, précipitant la dissolution du Parlement.

JUIN 1976 : IMPASSE TOTALE

Les élections législatives du 2 juin 1976 se traduisent par une nouvelle et importante poussée du PCI (34.4% des suffrages) qui témoigne de la volonté du prolétariat et de la jeunesse d’en finir avec le gouvernement de la DC.

Cette volonté, en l’absence de tout Parti ouvrier révolutionnaire, se fait au profit du PCI et au détriment du PSI qui est devenu, depuis 1960, la principale béquille de la Démocratie chrétienne. Mais si, corrélativement, les petits partis bourgeois accompagnant la Démocratie chrétienne s’effondrent, la D.C elle-même retrouve ses suffrages de 1972. Miracle pour le parti du Vatican et ses caciques ultra corrompus ? Nullement. C’est le fruit de la politique du parti stalinien italien, qui, à la recherche du " compromis historique ", a refusé d’engager le combat contre la DC, arrière-train plombé d’une bourgeoisie débile : " je suis confiant, non seulement dans les courants de gauche de la DC, mais encore dans la DC toute entière " déclare le représentant du PCI invité au congrès de la DC. Cette dernière obtient donc 38.7%. Mais, avec ses petits alliés, elle n’a pas la majorité requises. Une crise politique aiguë menace.

C’est pour sauver la D.C que la direction du PCI décide de franchir un pas de plus : afin de permettre l’élection du gouvernement de la DC, elle décide de s’abstenir. C’est grâce à cette abstention qu’est formé le cabinet minoritaire d’Andreotti, l’un des plus corrompus au paradis des corrompus.

C’est une situation qui ressemble à celle de 1960 où à la suite des grèves quasi insurrectionnelles de juillet contre le gouvernement Tambroni le PSI décidé de s’abstenir afin que puisse être formé le gouvernement DC de Fanfani.

Mais en 1976, la situation est fort différente. La puissance sociale de la classe ouvrière, avec ses organisations, s’est puissamment développée. Des acquis importants ont été arrachés, dont l’échelle mobile des salaires.

Financés par l’inflation, ces acquis ont été payés par un affaiblissement continu du capitalisme italien, et de la productivité des entreprises. La dépréciation continue de la lire, l’endettement croissant sont le prix des concessions faites à la classe ouvrière, aux grandes vagues de grèves de 196, 1968-69 et 1972.

" COMPROMIS HISTORIQUE ", TRAHISONS HISTORIQUES

C’est en octobre 1973 qui Enrico Berlinguer, secrétaire général du PCI, lance sa proposition d’un " compromis historique " avec la Démocratie chrétienne. Les menaces de coups d’Etat, le terrorisme, font partie des arguments pour justifier cette compromission historique. En toile de fond : la crise économique qui se développe à partir de 1973 aux Etats-Unis, dans l’ensemble de l’économie capitaliste, et les puissantes mobilisations révolutionnaires.

Pur le capitalisme italien, ce n’est que la nouvelle mouture d’un très vieille politique, celle par exemple qui prévalu entre 1943 et 1947, visant à reconstruire l’Etat bourgeois italien au nom du combat contre la fascisme. Précisons néanmoins que la posture de " l’antifascisme " n’est choisie qu’en fonction des situations. Si nécessaire, le soutien à l’ordre bourgeois peut conduire ce parti stalinien à une posture inverse. En témoigne sa politique à l’époque de Mussolini, illustrée notamment par l’appel aux fascistes en 1936, publié par l’organe officiel de la direction du PCI, et intitulé " pour le salut de l’Italie, réconciliation du peuple italien ". On ne peut ici qu’en citer birbes, telle cette apostrophe : " Peuple italien, Fascistes de la vieille garde, Jeunes Fascistes ! Nous, camarades, faisons notre programme fasciste de 1919, qui est un programme de paix, de liberté, de défense des intérêts de travailleurs, et nous vous disons : luttons pour la réalisation de ce programme (…) ".

C’est sa nature de faux parti ouvrier, de parti " ouvrier-bourgeois ", irrévocablement contre révolutionnaire qui explique la continuité de la politique du PCI ,avec des formes qui varient l’expression de cette continuité se traduit en chiffre : entre 1948 et 1972, ce parti " ouvrier ", dit de " l’opposition ", contribue à faire adopter 71% des lois.

Et c’est la compréhension aiguë du rôle fondamental que joue la Démocratie chrétienne qui détermine le soutien que lui apporte le PCI, notamment avec la politique du " compromis historique ".

DÉLIQUESCENCE DU PARTI CLÉRICAL

Ce que très vite, avait compris Togliatti et les autres dirigeants staliniens, c’est le lien étroit entre la nature de parti clérical de la DC et le fait qu’elle soit la représentation unique de la classe bourgeoise. Ce lien est le produit de l’histoire : lors de l’effondrement du régime fasciste en 1943-44, la bourgeoisie italienne s’était retrouvée totalement décomposée et sans défense. Seul restait debout l’Eglise catholique. C’est en s’appuyant sur l’Eglise que s’est opérée la reconstruction du système politique italien. La DC n’est donc rien d’autre que le parti de masse du grand capital, lui-même trop rapide pour se passer du Vatican même si les secteurs les plus actifs de la bourgeoisie italienne n’ont jamais été vraiment satisfait de ce parti hégémonique. Et de parti regroupe tout ce que la société compte de parasites, d’improductifs, de couches arriérés. Mais faisant corps avec l’appareil d’Etat pendant des décennies, prenant le caractère d’une " société du 2 décembre ", il n’a cesse de ce décomposer. A partir de 1960, et durant 16 ans, le PSI devient alors la béquille indispensable à la survie de ce régime, supportant la décomposition de la DC, en adoptant les mœurs corrompues.

Mais en 1976, le PSI suffit plus à la tâche. Même s’il occupe encore une place réelle, il est électoralement laminé.

Le PCI doit, à son tour, apporter un soutien sans fard. Il permet la formation du gouvernement d’Andreotti en juillet 1976, et va soutenir ouvertement sa politique.

En échange, il obtient la présidence de la chambre et huit présidences d’importantes commissions parlementaires, ce qui dans ce régime parlementaire qui se décompose conduit à l’associer étroitement à la politique gouvernementale.

En juillet 1976, simultanément, la vielle direction du PSI (De Martino) est éliminée brutalement au profit de Craxi.

LA CLASSE OUVRIÈRE CONTRE LE GOUVERNEMENT " BERLINGOTTI "

Durant dix-huit mois, le gouvernement Andreotti soutenu par le dirigeant stalinien Berlinguer multiplie les mesures anti-ouvrières. Le PCI approuve le premier plan d’austérité. Il combat ouvertement la résistance de la classe ouvrière : " il faut en finir avec cette résistance conservatrice au sein de la classe ouvrière " déclara Amendola, dirigeant stalinien, le 28 septembre 1976. Car le capitalisme italien est au bord de la banqueroute : inflation à 20%, déficit commercial de 10 milliards de dollars en un an, dette extérieure colossale ; l’Italie doit en appeler au FMI, qui dicte ses conditions. Le PCI, les dirigeants des confédérations syndicales, acceptant ces conditions.

En octobre 1976, un puissant mouvement spontané de grèves éclate dans plus de 70 grandes entreprise, contre la plan d’austérité d’Andréotti soutenu par Berlinguer. Dans les AG d’ateliers, dans les conseils d’usine, on parle du gouvernement " Berlinotti ".

En février 1977, c’est l’explosion, à l’université et dans les usines, les deux mobilisations se nourrissant l’une et l’autre, contre le nouveau plan de hausses d’impôts, contre la réforme de l’Université qui introduit un triple barrage sélectif : manifestations, occupations d’universités. L’affrontement avec l’appareil stalinien est ouvert : le 17 février, la direction du PCI avoie Lama, dirigeant stalinien et dirigeant de la CGIL, tenir un discours dans l’université de Rome qu’occupe les étudiants. UN service d’ordre de 2500 militants du PCI le précède. Le discours est volontairement provocateur à l’adresse des étudiants : " nous sommes le nombre, nous sommes la force, nous ne nous laisserons pas éliminer de l’université (…) il y a ici des provocateurs, des fascistes. " C’est l’affrontement. Les étudiants expulsent le service d’ordre du PCI. Le 19 février, le PCI doit faire son autocritique. Mais l’orientation est inchangée. Le 11 mars, la police tue un étudiant. Le 12 mars, 100 000 étudiants manifestent à Rome. Le PCI est absent. La police charge. Le 16 mars, le PCI, la DC, le PSI, le PSD et quelques partis bourgeois convoquent un rassemblement " en défense de l’Etat républicain " et " en solidarité envers les forces de l’ordre ". Consciemment, la classe ouvrière cherche à briser la compromission historique que mettent en œuvre également les dirigeants syndicaux en prônant la modération salariale, la mobilité, la participation, et la remise en cause de l’échelle mobile.

Le 25 mars, les conseils de délégués de différents usines de Milan lancent un appel " pour la convocation d’une nouvelle assemblée nationale de délégués, pour la suppression immédiate des rencontres syndicat gouvernement. ".

Le 6 avril, 3000 militants et délégués, représentant 200 000 travailleurs, se réunissent en réponse à cet appel.

Le 2 décembre 1977, la mobilisation rebondit : 200 000 travailleurs de la métallurgie défilent à Rome. Débordant le cadre initial fixé par cette manifestation, ils exigent le départ d’Andréotti.

Le 16 janvier, Andréotti démissionne : ce sont les travailleurs de la métallurgie qui ont ainsi fait tomber le gouvernement Andréotti. Mais le PCI ne renonce pas, et reste associé de l’extérieur à un nouveau gouvernement de " solidarité nationale " (1978-79). Avant de reculer fortement aux élections de 1979.

L’ASSASSINAT D’ALDO MORO

Pilier de la Démocratie chrétienne, futur président de la République, défenseur du " compromis historique ", Aldo Moro est enlevé par un commando Rouges de 16 mars 1978. Durant 55 jours, le gouvernement refuse de négocier. C’est un choix politique : l’issue est prévisible : Aldo Moro est tué. Sa mort met fin aux manœuvres visant à approfondir le compromis historique : le PCI doit soutenir " de l’extérieur ", il n’est pas question qu’il y ait des ministres du PCI. C’est ce qu’exigent les Etats-Unis.

L’impasse politique est alors totale : la Démocratie chrétienne seule ou avec quelques béquilles ne peut plus gouverner ; le PCI ne peut entrer au gouvernement malgré les gages donnés, ni dans un dispositif d’union nationale ni dans un dispositif de type front populaire analogue à l’union de la gauche qui se prépare alors en France. Tous craignent que les masses submergent les barrages dressés.

Or l’Italie a contracté une dette énorme qui ne fait que croître. Les entreprises aussi. Il faudrait reprendre à la classe ouvrière ce qui a été arraché comme sous produit de la crise révolutionnaire qui a affluée en permanence depuis 1969 sans parvenir néanmoins à maturité. Mais l’Italie est ingouvernable. En 1979, elle demeure 126 jours sans gouvernement.

1983-1987 : LES ANNÉES CRAXI

Les années 1980-92, ce sont les années de scandales de corruption, de crimes politico-mafieux. Rien n’arrête les commanditaires, qui font tuer des juges, un préfet, des députés, mais aussi des militants de partis ouvriers, tel que Rio la Torre. Le banquier Sindona est emprisonnée en prison. Les enquêtes s’enlisent. Andréotti lui-même, poursuivi, est acquitté par le Parlement grâce à l’abstention déterminante du PCI. Mais pendant que les monopoles se renforcent, la dette publique explose : elle atteint 120% du PIB en 1992. Pour faire face, on imagine d’abord de confier la direction d’un gouvernement essentiellement démocrate chrétien au dirigeant d’un petit bourgeois, ceci en 1981 pour le première fois.

Puis on innove : en 1983 est installé le premier gouvernement italien présidé par un dirigeant du parti socialiste, Bettinon Craxi l’essentiel du gouvernement est composé des partis bourgeois, que domine toujours la DC. Mais le Parti socialiste joue désormais un rôle nouveau, il était une béquille. Avec 11% des voix, il devient le brancardier de la D.C (33%). Ce dispositif où l’essentiel du fardeau est porté par un petit part " ouvrier " ne peut durer infiniment. Mais durant ces années " Craxi ", des mesures importantes sont prises : révision du concordat, suppression du vote secret au parlement au profit du scrutin public, et brutales mesures anti-ouvrières : en 1984, par décret puis référendum, l’échelle mobile des salaires est amputée par un plafond au taux d’indexation : ce sont des années de crise économique, durant lesquelles le " nouveau PSI " de Craxi cherche à marginaliser le parlement en multipliant les décrets lois.

De 1987 à 1992, sans diriger le gouvernement, le PSI en demeure une pièce maîtresse. Au compte de DC. Puis tout s’effondre brutalement.

IV 1990-2002 : BOULEVERSEMENTS, NOUVELLE PERSPECTIVE

1992, l’économie italienne menace ruine. En septembre, la crise monétaire conduit la lire, dévaluée, à sortir du système monétaire européen.

Ces développements s’inscrivent dans une situation internationale bouleversée : dislocation de l’URSS, la réintroduction du capitalisme en Russie, qui sont une défaite pour la classe ouvrière mondiale., pour la classe ouvrière italienne, font des Etats-Unis la seule puissance mondiale. L’offensive contre les prolétariats en est favorisée.

Mais pour la bourgeoisie italienne, sa situation n’en est pas pour autant plus facile, face à une Allemagne désormais réunifiée. Car désormais, l’impérialisme allemand est dominant en Europe et, s’il n’y avait les Etats-Unis, y serait quasi hégémonique. L’Allemagne est donc en mesure, bien plus que dans le passé, de dicter ses conditions à ses " alliés " au sein de l’Union européenne, à l’Italie notamment en pleine crise politique et débandade économique.

Le projet d’une monnaie unique destinée à surmonter l’instabilité monétaire se fait donc aux conditions allemandes : réaliser un tel objectif, sans précédent, est particulièrement difficile. Il implique une inflation et des taux d’intérêts réduits, un déficit budgétaire contenu à 3% du PIB et une dette dont le volume n’excède pas 6% du Produit intérieur brut. A priori, au vu de sa situation financière et politique, l’Italie est parfaite "ment incapable de satisfaire ces critères. Pourtant, la bourgeoisie italienne n’a pas le choix. Elle doit mettre en œuvre le traité de Maastricht adopté le 10 et 11 décembre 1991, en espérant que les contraintes seront flexibles et que les échéances reportées. Or l’Euro doit être instauré, au plus tard, le 1er janvier 1999.

Faute de quoi, dans un Union européenne qui serait à deux vitesses, l’Italie serait reléguée au rang des bourgeoisies les plus arriérées : une déchéance inacceptable, qui menace à brefs délais. Le 1er janvier 1993, le " grand marché unique " entre en vigueur et, en novembre, la CEE devient l’Union européenne (U.E).
 
 

L’OPÉRATION " MANI PULITE "

Le 17 janvier 1992, un obscur substitut de Milan fait arrêter en flagrant délit un homme politique membre du PSI, Mario Chiesa, au moment où celui-ci reçoit un pot de vin donné par un entrepreneur. Affaire banale. Dans le passé, il y a eu de très nombreuses enquêtes. Toutes se sont enlisées. Mais cette fois-ci, Mario Chiesa parle, et le juge Di Pietro peut dérouler un écheneau de corruption l’écheneau nouveau, c’est que cette fois-ci, un juge peut poursuivre ses enquêtes jusque très haut dans l’appareil d’Etat et les appareils politiques. A l’évidence, l’heure est venue pour les cercles dirigeants du capital financier italien de faire le ménage, au moins partiellement, dans l’appareil d’Etat, d’élaguer les branches les plus pourries d’une bourgeoisie corrompue, de réduite l’incroyable parasitisme de couches clientélistes inféodées à la D.C et vivant de subsistes de l’Etat. AL corruption est congénitale au capitalisme, mais elle atteint des proportions exceptionnelles en Italie, où elle est un mode de gouvernement, qui permet à la mafia de proliférer : 1500 assassinats ont lieu entre mai 1990 et fin 1992. Il s’agit, pour le grand capital, d’établir un ordre " normal " des choses, où l’Etat et les partis bourgeois sont des instruments au service du capital et non des chancres ruineux et inefficaces.

Le juge Di Pietro et une fraction de l’appareil judiciaire sont les premiers agents de cette opération, dont la tâche première est de briser le principal obstacle à tout nettoyage : la Démocratie chrétienne, et ses diverses béquilles, dont le PSI devenu exsangue. Ce sont ces considérants politiques qui sont en général éclipsés quand est évoquée l’opération " mains propres ", les journalistes préférant l’accent sur la dimension personnelle de l’activité des juges. Ainsi cet article du Monde qui, quatre ans plus tard, dresse le bilan suivant :

Le juge Di Pietro " dont les réquisitoires enflammés et d’une implacable précision sont mémorables, va faire tomber le puissant chef du Parti socialiste, Bettino Craxi, puis des dizaines de ministres et d’élus démocrates-chrétiennes et de patrons du secteur public et privé, et finalement, la plupart des partis politiques de la Première République, dans un tourbillon de mises en examen, d’arrestations plus spectaculaires les unes que les autres. " (15 mai 1996).

Elena Paciotti (qui fut présidente de l’association nationale des magistrats) préfère dégager le facteur décisif pour l’opération " mani pulite " : " la concomitance, en 1992, d’une crise politique et économique ". (…) " qui permit la rupture de nombreuses solidarités et connivences ".

Et les dernières rebondissements de la crise politique, ce sont la démission d’Andréotti en décembre 1991 et la dissolution de l’Assemblée le 2 février 1992 les élections législatives d’avril 1992 sont une première traduction, sur le plan électoral, des bouleversements qui sont engagés : c’est une défaite pour la Démocratie chrétienne, qui recule de 4.6% des suffrages. C’est un coup très dur pour l’ex-PCI, qui a éclaté, en 1991, en deux partis différents. ET c’est un succès pour une nouvelle organisation, la Ligue du Nord, qui recueille 8.3% des suffrages et obtient 55 députés.

LA LIGUE DU NORD

Différentes " ligues " autonomes s’étaient constituées au cours des années quatre-vingt dans le Nord de l’Italie. Elles s’unifient en 1991 pour constituer la Ligue du Nord. Le leitmotiv de la ligue, c’est " le Nord en a assez de payer pour le Sud et de subir le racket des mafias. "

Et elle propose, au gré des circonstances, différentes formes d’autonomies, de la sécession pure et simple à un projet d’Etat fédéral, avec de très larges pouvoirs notamment économiques et sociaux aux composantes de cet Etat fédéral. Le Nord pourrait ainsi garder pour lui " ses " richesses. C’est là une réaction petite bourgeoise au compte du grand capital italien. Cette ligue du Nord récupère une grande partie de l’électorat de la DC, s’appuie largement sur de nombreuses petites entreprise du Nord. Au delà, la ligue exprime la pression exercée par l’impérialisme allemand, et son projet politique est en parfaite cohérence avec les besoins de ce dernier, que " Bruxelles " se charge d’exprimer : développer " l’Europe des régions " pour affaiblir le rôle des Etats, notamment dans les domaines économiques et sociaux.

Dans l’immédiat, la ligue est un instrument au compte du grand capital financier pour réorganiser l’Etat italien, son régime, ses partis.

1992-1993 : NAUFRAGE DE LA DÉMOCRATIE CHRÉTIENNE ET DU PSI

Juin 1992 : un éphémère gouvernement de la DC conduit par Guilan Amato, un homme de PSI, est constitué. Grâce à l’aide efficace des appareils syndicaux, ce gouvernement a le temps de porter de nouveaux coups à la classe ouvrière : un accord est signé, qui entérine la liquidation définitive de l’échelle mobile des salaires ; puis un plan d’attaque contre les retraites est adopté de manière échelonnée. L’a^ge de la retraite est élevé et le montant des retraites est calculé, peu à peu, sur toute la carrière et non sur les cinq dernières années.

Mais l’opération Mani pulite se poursuit, qui touche nombre de ministres.

En mars 1993, la direction du PSI est décapitée : poursuivi par la justice, son secrétaire général s’enfuit à l’étranger. Le successeur de Bettinon Craxi doit démissionner à son tour. Le PSI agonise encore quelques mois. Aux élections municipales de 1993, il est laminé. Avec lui disparaît de fait le plus vieux parti de la classe ouvrière italienne, mort pour être allé jusqu’au bout du rôle que lui avait assigné la bourgeoisie.

La Démocratie chrétienne est un champ de ruine, fracassée par de multiples inculpations, dont celle sur la mort d’un journaliste et d’une autre enquête pour collusion avec la mafia.

Dissoute en juillet 93, la DC tente de se survivre avec la constitution du parti populaire italien (PPI), qui se brise peu après en de nombreux groupes.

Avec la mort de ma DC, s’achève un demi siècle d’histoire de la bourgeoisie italienne.

A partir de là, il reste à organiser de nouveaux partis bourgeois pour préparer les élections de 1994. En quelques mois ce sera chose faite.

Le 26 janvier 1994, Silvio Berlusconi, un homme d’affaire richissime dont on ne sait trop d’où vient la fortune lance son parti comme on lance une marque de lessive : " Forza Italia ". Ce n’est pas un parti qui aurait choisi son dirigeant, c’est l’inverse : un homme, avec son entreprise, ses télévisions et un certain nombre de " ses cadres ", lance son parti. C’est une opération typiquement bonapartiste.

Et Forza Italia constitue aussitôt le " pôle des libertés ", coalition qui regroupe également la Ligue du Nord et l’Alliance nationale, organisation issue du MSI.

Si l’on s’en tient aux seuls résultats électoraux de mars 1994, la bourgeoisie italienne semble alors capable de réaliser ses projets : la Démocratie chrétienne brisée, un nouveau dispositif politique s’est reconstitué autour de trois partis : Forza Italia, l’élément fédérateur, bâti en quelques semaines ; la Ligue du Nord, de construction récente, et Alliance nationale, créée en janvier 1994 par Gianfranco Gini, leader du MSI. La pôle des libertés trimpohe alors, avec 42.9% des voix et 58% des sièges à l’Assemblée. Les petits partis issus de la DC sont balayés, avec 15% des voix et 7% des sièges. Quant à l’alliance de progressistes (alliance entre partis ouvriers et quelques groupes bourgeois, dont certains issus de la DC), elle recueille 34% des voix. Le gouvernement Berlusconi doit maintenant agir.

1994 : LE PROLÉTARIAT SE DRESSE CONTRE LE GOUVERNEMENT BERLUSCONI

Pour détruire les acquis arrachés antérieurement par la classe ouvrière, pour avancer sur la voie de la réalisation d’un Etat fort, le gouvernement Berlusconi doit surmonter un double obstacle : celui constitué par le caractère parlementaire du régime bien qu’il s’agisse d’un parlementarisme décomposé, et les contradictions d’une coalition hétéroclite sur laquelle ce gouvernement doit s’appuyer. Encore faut-il que les rapports entre les classes le permettent, alors même que l’opération " mains propres " se poursuit et menace directement Berlusconi et son clan.

Or les échéances économiques et financières se font pressante tandis que le poids de l’Allemagne est conforté, le 1er janvier 1994, par l’entrée au sein de l’Union européenne de trois pays appartenant à sa zone d’influence : l’Autriche, la Suède et la Finlande.

Dès septembre, le gouvernement Berlusconi présente donc un projet de budget qui amplifie brutalement et accélère, les attaques portées antérieurement contre les retraites. Aussitôt des grèves spontanées éclatent. Les assemblées de travailleurs, de délégués exigent ; " grève générale ! cette fois-ci on ne nous aura pas. " Cette exigence est adressée explicitement aux dirigeants des confédérations qui louvoient, poursuivent les négociations, et appellent finalement à la grève générale mais à une date éloignée : le 14 octobre. A la veille du 14 octobre, le dirigeant de la CGIL regrette encore qu’il n’y ait dans le budget que " des coupes partielles " et non une réforme " permettant de réduite les dépenses " de retraites à long terme.

Pourtant grèves et manifestations se poursuivent jusqu’au 14 octobre. Ce jour-là la grève est massive. Trois millions de travailleurs manifestent à travers toute l’Italie.

Les bureaucrates syndicaux espéraient que ce serait l’apothéose finale du mouvement. En vain, D’importantes manifestations se succèdent ? Ils doivent donc appeler à une manifestation nationale, à Rome, le 12 novembre : un million, un million et demi peut-être de travailleurs, vont se rassembler ce 12 novembre à Rome. Une telle force rassemblée imposait de lancer le mot d’ordre : " Grève générale pour balayer le gouvernement ! Comités de grève à tous les niveaux ! " A l’inverse, les dirigeants syndicaux renvoient les travailleurs à une nouvelle journée de grève ultérieure, pour le 2 décembre, et reprennent les négociations avec le gouvernement.

A la veille du 2 décembre, un accord est conclu, et la grève est annulée. Certes le gouvernement a reculé sur l’essentiel des mesures prévues ;, mais en échange il obtient des dirigeants syndicaux l’ouverture de discussion visant à une réforme profonde du système des retraites.

Plus important encore : le appareils, par cet accord, ont sauvé le gouvernement, ont évité qu’il ne s’effondre sous les coups de la grève générale, de puissantes manifestations, ce qui eût ouvert la voie à une situation révolutionnaire.

Néanmoins, pour le gouvernement, ce n’est qu’un sursis. L’ampleur de la mobilisation a montré la fragilité du dispositif politique : la bourgeoisie italienne n’a pas encore surmonté, pour l’essentiel, la crise de son système de domination. L’offensive des juges se poursuit en dépit de la démission du juge Di Pietro. A la mi décembre, Berlusconi qui fait désormais l’objet de poursuites judiciaires est contraint de consacrer sept heures à répondre aux questions de magistrats. Les antagonismes s’exacerbent au sein de la coalition gouvernementale. Finalement, fin décembre, la ligue du Nord, elle-même en crise, décide de se retirer du gouvernement. Berlusconi démissionne.

En réalité, c’est surtout le puissant mouvement du prolétariat qui a ébranlé le gouvernement et a conduit, de manière légèrement différée à sa chute. Un gouvernement de transition est alors installé, un gouvernement dit de " techniciens " dirigé par Lamberto Diri, à même de permettre aux forces politiques de se réorganiser pour préparer les élections législatives de 1996. Du côté des principaux partis bourgeois, c’est la désunion qui prévaut : la ligue d’Umberto Bossi refuse toute alliance avec Berlusconi et revendique la constitution d’une " République du Nord ", cette surenchère séparatiste étant un moyen de pression pour aller, vers un Etat fédéral. Le PPI, issu de la EDC, se brise en deux (CDU et PPI). Tandis que les néo-fascistes du PSI, en janvier 1995, se fondent définitivement dans l’Alliance nationale de Fini, en affirmant l’antifascisme comme " valeur démocratique fondamentale "… et en prônant un régime légèrement décentralisé avec un président doté d’importants pouvoirs.

C’est au printemps 1995 qu’est mis en place, à l’instigation de l’ex-PCI, un pôle appelé " l’Olivier ", dirigé par Romano Prodi, et par un dirigeant de PDS (ex-PCI), Walter Ventroni.

Le PDS est le principal des deux partis issus de l’ancien PCI, parti stalinien en crise avant 1989 et pour qui la chute du mur de Berlin fut un tremblement de terre. Dès 1990, rejetant toutes les références antérieures, aussi formelles fussent-elles. En janvier 1991, le PCI se brisait : la majorité se transformait en " Partito démocratico della sinistra " (PDS) tandis que la minorité créait " Rifundazione comunista " (R.C), celui-ci jouant le rôle de l’ancien PCI tandis que la PDS occupait la place, laissée vacante par le naufrage du PSI, de la social-démocratie. La défaite électorale pour le PDS aux élections de 1994 conduisit au remplacement, à la t^te du PDS, d’Ochetto par Massimo d’Alema. C’est ce dernier qui impulse alors la constitution de l’Oliver en alliance avec les partis bourgeois et en propose la direction à Romano Prodi. Prodi bien que la PDS représente l’essentiel des forces de cette coalition. Quant à Refondation communiste (R.C), s’il se tient en dehors de l’Olivier, il n’en signe pas moins un accord électoral pour les élections d’avril 1996.

LE GOUVERNEMENT DE L’OLIVIER

À l’issue des élections du 21 avril, la coalition de l’Olivier arrive en tête, avec 31,7% des suffrages.

Le Parti Refondation Communiste obtient , quant à lui, 8% des voix. Un gouvernement dit de "l’olivier" est alors constitué, que dirige Romans Prodi bien que le PDS soit, et de loin, la principale force de cette coalition. Refondation Communiste, sans pour autant participer directement au gouvernement, lui apporte son soutien en lui permettant d’avoir la majorité parlementaire nécessaire. Leur deux partis "ouvriers", le PDS et RC, jouent donc un rôle central pour la constitution de ce gouvernement. Mais ce n’est pas un gouvernement des partis ouvriers ; les partis bourgeois y sont largement représentés. Le PPI (issus de la DC) obtient trois portefeuilles, dont celui de la Défense, et Lamberto Dini, avec son tout nouveau parti, Renouveau Italien, a droit à trois postes.

L’ex-juge Di Pietro est nommé aux travaux publics. Quant au PDS, il occupe neuf postes, dont ceux de l’Intérieur et de l’Éducation..

Certains parlent de "gouvernement de gauche", d’autres de "centre-gauche", deux formules qui masquent le fait qu’il s’agit d’abord d’un gouvernement d’alliance entre des partis ouvriers et des partis bourgeois, c’est à dire un gouvernement bourgeois.

UN GOUVERNEMENT BOURGEOIS DE TYPE FRONT POPULAIRE

Mais ce n’est pas n’importe quel gouvernement bourgeois de collaboration de classes comme le furent par exemple les gouvernements constitués par la Démocratie chrétienne, qui était le parti bourgeois dominant avec le PSI.

Ces gouvernements anciens, qui étaient qualifiés de "centre gauche" ne s’appuyaient que sur un seul des partis "ouvriers", qui plus est nettement moins important que ne l’était le PCI.

Tandis que le gouvernement de l’olivier ne ^peut exister qu’avec le plein soutien de deux partis ouvriers, le principal d’entre eux constituant la principale force gouvernementale, l’autre se contentant de soutenir de "l’extérieur"", à la manière du PCF en 1936 en France.

Quant à la bourgeoisie, il lui suffit d’être représentée au gouvernement par quelques petits partis, tout en disposant l’essentiel de ses forces (Forza italia, Ligue du Nord, AN, etc…) à l’extérieur, en "opposition".

C’est un gouvernement qui dévoie l’aspiration des travailleurs à ce que soit réalisé "leur" gouvernement, un gouvernement d’unité des partis ouvriers : au nom de "l’unité", c’est un gouvernement d’alliance avec des partis bourgeois qui est mis en place.

La constitution d’un tel type de gouvernement bourgeois, gouvernement de type front populaire, correspond à une situation qui impose à la bourgeoisie pour surmonter sa propre crise de faire appel aux dirigeants des partis ouvriers, ceci alors même que la classe ouvrière menace de faire irruption. Bien évidemment, les situations historiques qui se traduisent par la constitution de tels gouvernements de front populaire ne sont pas identiques, et il y a des différences sensibles entre les fronts populaires de 1936 en Espagne ou en France, l’Union de la Gauche en 1981 en France et le Front populaire "délavé" constitué en 1997. Mais il s’agit à chaque fois d’une situation de réelle crise politique, même si celle ci est plus ou moins brutale.

Or, en 1996, le système de représentation politique de la bourgeoisie, en pleine déliquescence après la disparition de la Démocratie chrétienne, ne s’est pas solidement reconstitué alors que la bourgeoisie italienne doit faire face à des échéances redoutables : la mise en œuvre des critères définis à Maastricht. Or il n’est plus question de tergiverser : le calendrier de mise en place de l’Euro est précis et, pour la bourgeoisie italienne, ne pas entrer dans le premier cercle de l’euro serait une déchéance irrémédiable.

Satisfaire aux critères de Maastricht, puis permettre à l’économie itlaienne de faire face à une concurrence encore plus ouverte au sein de l’Union Européenne implique une attaque frontale contre les retraites et les acquis sociaux. C’est la première tâche fixée au gouvernement de l’Olivier, qui doit également modifier de manière importante la Constitution de manière à pouvoir donner à la bourgeoisie des gouvernements plus stables, voir "fort" ; et tout ceci en faisant refluer la classe ouvrière : tels sont les objectifs assignés à l’Olivier par la bourgeoisie.

1996-1997 LE FRONT POPULAIRE ENGAGE L’OFFENSIVE

Conformément à son programme, le gouvernement Prodi engage aussitôt l’offensive pour réduire les dépenses sociales, diminuer la force du travail, rétablir l’équilibre budgétaire.

Le 26 décembre, le parlement adopte le budget le plus rigoureux de son histoire : les coupes massives dans les dépenses se combinent avec des hausses d’impôts pour atteindre un premier objectif, celui d’un déficit budgétaire ramené, en un an, de 6,7% à moins de 3% du produit intérieur brut (PIB)

Cet objectif, avec celui fixant un plafond à l’inflation, étant le plus important des critères fixés par les accords de Maastricht. 0 cette fin, un "impôt exceptionnel pour l’Europe" est décidé qui doit rapporter 12000 milliards de lires (l’équivalent de 7 milliards d’Euros)

Puis, le déficit menaçant d’atteindre 3,8%, un collectif budgétaire est rajouté en mars, aggravant le budget initial. Contre cette politique , qui correspond aux besoins du capital financier italien, des fractions significatives de la bourgeoisie notamment de la petite et moyenne bourgeoisie se mobilisent. Dès l’automne, le 9 novembre, plus de 500 000 manifestants, un million peut-être, défilent dans Rome à l’appel de Berlusconi, du Pôle des libertés, des anciens néofascistes d’Alliance nationale et de groupes issus de la Démocratie chrétienne, contre "la taxe pour l’Europe"

L’objectif de la manifestation est que seul la classe ouvrière supporte le poids de la politique budgétaire définie pour respecter les critères de Mastricht. Et dans les heures qui suivent la manifestation, Romano Prodi se déclare prêt à faire des concessions. Mais déjà la politique suivie par le gouvernement suscite de nombreuses protestations parmi les travailleurs. .

LES DIRIGEANTS SYNDICAUX SOUTIENNENT LA POLITIQUE GOUVERNEMENTALE

Le rôle des dirigeants syndicaux est alors décisif pour canaliser la volonté de combattre du prolétariat, le détourner de ses véritables objectifs et aider ainsi le gouvernement à mettre en œuvre sa politique.

Dès le 24 septembre 1996, au loin d’impulser le combat contre le projet de budget, ils signent avec le gouvernement des accords "pour la relance de l’emploi" dont la fonction est d’accompagner la politique budgétaire.

Ces accords prévoient notamment des prêts aux entreprises pour la relance des travaux publics et du bâtiment, en particulier dans le Sud.

le 22 mars, les dirigeants des trois confédérations organisent une puisante manifestation à Rome, qui réunit 300 000 à 400 000 participants, sur un seul mot d’ordre : "du travail pour tous et un geste en faveur du Sud de la péninsule". Pour la CGIL, Sergio Cofferati précise : "le gouvernement doit respecter avant tout les accords signés avec nous le 24 septembre dernier concernant la relance de l’emploi". On comprend ainsi que Massimo d’Alema, dirigeant du principal parti de la coalition gouvernementale, puisse défiler aux côtés des manifestants, ainsi que Fausto Bertinotti (RC). Le gouvernement "entend" aussitôt cette revendication en débloquant les fonds ,pour les entreprises du bâtiment…

puis il fait adopter un projet de loi voté définitivement le 19 juin instituant le travail temporaire, jusqu’alors inexistant en Italie. Cette loi prévoit également l’extension de l’apprentissage et l’allongement des contrat formation-emploi (jusqu’à deux, voire trois ans).

Enfin il engage l’offensive contre les retraites.

"FRAPPER LES SITUATIONS DE PRIVILÈGES"

Le 16 mai, le conseil des ministres décide de remettre en cause le droit des fonctionnaires de partir en retraite "à l’ancienneté", c’est à dire dès qu’ils ont atteint le nombre d’années de cotisation requis, indépendamment de l’âge. Pourtant, en 1995, un âge minimum a déjà été imposé (52 ans) et une pénalité est appliquée sur le montant des retraites pour les travailleurs qui partent en retraite avant 65 ans (60 ans pour les femmes).

Cette fois-ci, il décide de bloquer le départ de 31000 des 65000 enseignants qui devaient partir. Les protestations se multiplient. Massimo d’Alema, dirigeant du PDS, s’en prend alors brutalement aux "intérêts corporatistes" et affirme la nécessité de "frapper les situations de privilèges". Il précise "un pays qui n’est pas capable de résoudre le problèmes du chômage au Sud ne peut pas se permettre de payer des retraites à 50-52 ans" On comprends mieux sa présence à une manifestation qui exigeait "un geste en faveur du Sud".

Or cette possibilité de partir en retraite un peu moins tard qualifié de "privilège" par Massino d’Alemo doit disparaître automatiquement d’ici à 2008, en application de la réforme Dini de 1995. Mais le temps presse et les contraintes de l’Euro n’attendent pas. Cette nouvelle attaque, qui en prépare d’autres, provoque un tollé. Les dirigeants syndicaux doivent menacer d’appeler à la grève générale le 4 juin.

Le gouvernement ne pouvant tout mener de front, renvoie cette question à l’automne : il faut d’abord faire adopter le prochain budget.

AUTOMNE 1997 :LE GOUVERNEMENT TRÉBUCHE

Le projet de budget adopté le 28 septembre prévoit, afin de satisfaire aux critères de Maastricht, 15 000 milliards de lires de coupes budgétaires supplémentaires (environ trois milliards d’Euros) et 10 000 milliards de lires d’augmentation d’impôts. ainsi le déficit budgétaire, qui était de 12,7% du PIB en 1992 et encore de 6,7% en 1996, arriverait à moins de 3% : "un véritable exploit" commente Libération (30-09-1997)

La Cofindustria, principale organisation patronale, juge ce projet "cohérent" et la direction de la CGIL, principale confédération syndicale ouvrière, le qualifie d’ "équilibré".

Pour les travailleurs, les conséquences sont insupportables, il implique notamment la suppression de 50 000 emplois (à la Poste, dans les transports…) et une hausse de la TVA équivalente à 150 euros par famille.

Refondation communiste décide alors, non pas d’engager une mobilisation de front unique pour imposer le retrait de ce projet, mais simplement de voter contre, donc de faire tomber le gouvernement en prenant soin de ne pas mettre en avant une alternative ouvrière, un gouvernement des seuls partis ouvriers. Par conséquent, le 9 octobre, Romano Prodi démissionne.

Mais la manœuvre ne fait pas long feu. N’ayant ouvert aucune perspective gouvernementale alternative, cette opération est sévèrement critiquée dans les rangs ouvriers car elle implique, d’une manière ou d’une autre, le retour de Berlusconi au pouvoir. Par ailleurs, le grand capital exige le vote sans délais du projet de budget, "qui doit nous ramener définitivement sur la voie de l’Europe" selon les termes de la Cofindustria. Or le traité d’Amsterdam, signé au même moment rend plus contraignante l’application des critères de Maastricht, tandis que la banque centrale allemande, pour les besoins de l’Allemagne, procède à une hausse des taux d’intérêts, suivie par les autres banques centrales l’euro se mettra en place aux seules conditions allemandes.

Bertinotti, le dirigeant de Rifondatione Comunista, doit donc faire volte face : le 10 octobre, au lendemain de la démission de Prodi, il propose un gouvernement "soutenu par la majorité" issue des élections du 21 avril.

Mais si le PRC est affaibli et ridiculisé par cette volte face, il a ainsi permis que soit fermée toute issue gouvernementale "ouvrière" : pour les travailleurs, cela signifie qu’il n’y aurait pas d’autre alternative que s’accepter la politique de l’olivier ou de voir revenir Berlusconi. Cette volte face, lin d’être une "capitulation", est une opération profondément perverse.

Le 16 octobre, le gouvernement Prodi est reconstitué, avec le soutien du PRC, lequel a obtenu la promesse que soit étudié une loi sur les 35 heures. Le budget est donc voté par les députés de RC, quasi inchangé par rapport au projet initial. Quant à la loi des 35 heures, elle passera l’année suivante aux oubliettes : le gouvernement a d’autres priorités.

Pour l’instant, il a franchi un premier obstacle : avec un déficit budgétaire ramené à 2,7%, l’Italie est déclarée admissible en mars 1998 au premier cercle de l’euro. Le montant de sa dette (120% du PIB) est deux fois plus élevé que le préconise le traité de Maastricht mais la Belgique a également une dette du même ordre, et ce critère de la dette peut être assoupli, apprécié "en tendance". Il s’agit désormais pour l’Italie de réduire encore le déficit budgétaire pour commencer à diminuer le volume total d’une dette monstrueuse :

"L’euro sera le purgatoire et non le paradis. Il n’y a pas d’illusion à se faire " prévient le gouverneur de la banque centrale. Le 18 avril, devant 100 000 partisans rassemblés à l’issue du 1er congrès de Forza Italia, Berlusconi prévoit : l’euro sera pour l’Italie un "enfer". La position de Berlusconi, c’est d’essayer de desserrer l’étau de l’euro, sans pour autant le remettre réellement en cause.

De toute façon, dans l’immédiat, la reconquête du pouvoir n’est pas à l’ordre du jour. Le même 18 avril, Bossi affirme avec force : "un lien entre la Ligue et Forza Italia sera toujours impossible"…

1998 : LE PRC FAIT TOMBER LE GOUVERNEMENT PRODI

En septembre 1998, les événements de l’automne précédent semblent se répéter : nouveau budget d’austérité, nouvelles menaces proférées par Fausto Bertinotti, dirigeant du PRC, malgré quelques accomodements proposés par Romano Prodi, puis décision prise le 4 octobre par la majorité de la direction de Refondation communiste de ne pas voter le budget. Le gouvernement tombera donc de nouveau. Mais cette fois-ci, la crise explose dans Refondation communiste : Armando Cossuta, président du parti, est démissionnaire et 29 des 45 députész et sénateurs refusent de faire tomber le gouvernement. Le 7 octobre, réunis avec ses partisans, Cossuta déclare : "nous soutiendrons le projet de budget et l’actuel gouvernement" tandis que Berlusconi, au même moment, demande des élections anticipées.

Le 9 octobre, coup de théâtre en dépit du vote favorable des députés pour Cossuta, le gouvernement est mis en minorité, à une vois près, par 317 voix contre 316.

Le 11 octobre, à Rome, 3000 militants réunis avec Cossuta fondent un nouveau parti, le troisième qui soit issu de l’ex PCI.

Le 13 octobre, après avoir dit et répété qu’il n’était pas candidat pour former un troisième gouvernement, Romano Prodi cède aux sollicitations des dirigeants des partis de l’Olivier Mais faute d’une majorité parlementaire suffisante, il doit obtenir le soutien de Franscesco Cossiga, ex-dirigeant de la Démocratie chrétienne. Celui-ci a créé, quelques mois auparavant, un nouveau parti, l’UDR (Union démocratique pour la République), avec un seul objectif : reconstituer l’ancienne démocratie chrétienne. Et Cossiga fixe ses conditions. Le 15 octobre, Prodi jette l’éponge :

"L’unique condition, inacceptable pour moi, pour former le gouvernement était de détruire la coalition de l’Olivier." Or l’objectif fondamental de Prodi, était la transformation de l’Olivier en un véritable parti, utilisant les forces du PDS, sur le modèle du parti démocrate américain. Pour Prodi, le projet de Cossiga ne correspondait plus aux possibilités et aux besoins de la bourgeoisie italienne. Avant de "quitter la scène", il propose que ce soit Massimo d’Alema, responsable du PDS, qui constitue et dirige le prochain gouvernement.

Le 21 octobre, c’est chose faite. Et le fait que ce soit un ex-dirigeant du PCI qui soit président du Conseil, pour la première fois en Italie, n’émeut guère la bourgeoisie ; Ainsi le patron de Fiat déclare : "la bourgeoisie italienne devra désormais s’adapter à l’idée d’un gouvernement conduit par le principal leader post-communiste, elle le fera avec sérieux et sens des responsabilité"

UN GOUVERNEMENT DE FRONT POPULAIRE DÉCOMPOSÉ

En l’absence de tout soutien direct de Refondation communiste à ce gouvernement, celui-ci ne semble pas –au sens strict du terme– devoir être qualifié de gouvernement de type Front populaire c’est à première vue, plutôt le retour à un dispositif classique de collaboration de classe entre un parti "ouvrier" et divers partis bourgeois. D’autant qu’en dépit de son récent éclatement, Refondation communiste demeure un parti influent dans la classe ouvrière. En témoigne la manifestation organisée à Rome, le 17 octobre, par le PRC, contre la politique économique du gouvernement et le budget qui regroupe plus de 100 000 manifestants (200 000 selon le PRC). En outre, le poids des partis bourgeois est renforcé de manière substantielle dans ce nouveau gouvernement, par le soutien des 30 députés de l’UDR et la présence de trois ministres issus de cette Union démocratique pour la République dont celui du ministre de la Défense.

Mais en même temps, le but que s’était fixé les dirigeants du PRC en faisant tomber le gouvernement Prodi : n’est pas atteint. Outre que le PCR en ressort brisé, il n’y a eu ni élections anticipées ni retour au pouvoir des principaux partis bourgeois regroupés derrière Berlusconi. Ce gouvernement s’appuie, fondamentalement, sur les mêmes forces politiques que le précédent et, si le soutien ouvert du PRC fait désormais défaut, il conserve le soutien des 24 députés issus du Parti de Refondation communiste désormais regroupés derrière Cossuta dans le nouveau Parti des communistes italiens (PDCI). De plus, le PDCI participe en tant que tel au gouvernement (ayant obtenu le ministère de la justice) alors que, de 1996 à 1998, Refondation communiste avait soutenu le gouvernement Prodi sans y participer. Ces éléments, et plus encore le fait que la bourgeoisie ait confié cette fois-ci la direction du gouvernement à un dirigeant issu d’un parti ouvrier signifie que la bourgeoisie n’a pas fini de réorganiser ses forces politiques, qu’elle n’a pas encore surmonté la crise qui avait disloqué son principal parti, et que le dispositif de front populaire a encore un rôle à essentiel à jouer : faire refluer le prolétariat italien.

Pour ces raisons, on peut qualifier ce gouvernement de front populaire décomposé..

LE GOUVERNEMENT MASSIMO D’ALEMA (OCTOBRE 1998)

Aussitôt installé, le gouvernement dirigé par d’Alema fait adopter le budget prévu puis avec l’aide des appareils syndicaux, poursuit la politique anti-ouvrière de son prédécesseur.

En décembre, un nouveau pacte social tri-partite (gouvernement-patronat-syndicats) est signé, visant à réduire le coût du travail et jetant les bases d’une nouvelle politique contractuelle.

Mais en décembre également, 100 000 manifestants exigent le retrait d’un projet de financement des écoles privées.

Le gouvernement n’en pourqsuit pas moins la mise en œuvre d’une politique de régionalisation qui est une menace redoutable en particulier pour l’école publique.

Le 1er janvier 1999, l’euro est officialisé. Sa mise en œuvre devient effective pour les transactions, pièces de monnaie et billets devant être introduits en janvier 2001.

Mais la situation économique devient difficile en Italie alors même que la monnaie unique interdit désormais de recourir aux déficits budgétaires massifs et à la dévaluation de la monnaie. La politique anti-ouvrière doit donc se poursuivre.

Après trois ans d’une telle politique, et faite d’avoir pu submerger la politique des appareils du mouvement ouvrier, faute d’avoir pu briser la politique de front populaire, la classe ouvrière commence à refluer.

Un premier reflux s’exprime sur le terrain électoral à l’occasion des élections européennes de juin 1999 les divers partis ouvriers reculent : le PDS perd 4% des voix, à 17,3%. Le PRC tombe à 4,3% (au lieu de 8,6%) tandis que le parti des communistes regroupe 2%.

Au sein de l’olivier, verts et PPI s’effondrent, au profit d’autres groupes bourgeois, dont "les démocrates" fondés par Prodi et Di Pietro.

Forza italia, de son côté, progresse sensiblement, passant de 20 à plus de 25% des voix.

Le même parcours s’exprime, au même moment à l’occasion des élections municipales, avec en particulier la chute de Bologne, bastion historique du mouvement ouvrier. Il est vrai que l’abstention à Bologne est spectaculaire plus de 58%. Comment en serait-il autrement quand, à la veille même des élections, Massimo d’alema annonçait son projet d’une nouvele attaque, dès septembre, contre les retraites ?

À l’automne, les difficultés s’accumulent pour un gouvernement à bout de souffle. Début décembre, Cossiga, dirigeant du regroupement bourgeois "le Trèfle" et membre du gouvernement, décide de faire tomber le gouvernement. Massimo d’Alema démissionne le 18 et le 22, reconstitue un autre gouvernement autour de l’Olivier : le groupe de Cossiga sort du gouvernement, et les "Democrates" de Prodi y rentrent.

Aussitôt constitué, le gouvernement adopte des mesures d’incitation fiscales pour "favoriser le développement de fonds de pension afin de consolider le marché"

En janvier, le PDS, désormais appelé "démocrates de gauche" (DS), adopte ses nouveaux statuts. Walter Veltroni, élu principal dirigeant déclare

"aujourd’hui, l’heure est venue de dire avec clarté que la gauche réformiste, la gauche du socialisme libéral de l’an 2000, est notre identité politique" car "dans sa réalisation historique, le communisme s’est révélé incompatible avec la liberté" Et Massimo d’Alema de renchérir. Ainsi ces dirigeants issus du plus haut de l’ancien appareil stalinien, qui ont tant œuvré à liquider la révolution d’Octobre et tout ce qui en subsistait, dont toute la politique a été la stricte négation du communisme, disent rejeter désormais le communisme dont ils ont été les fossoyeurs.

Se réclament désormais du "socialisme européens", de la social démocratie traditionnelle, ils peuvent continuer la même politique / le 4 avril, une loi limite le droit de grève dans les services publics : il y a désormais obligation d’une procédure de conciliation, avant toute grève, obligation de faire fonctionner les transports à 50% de leur capacité en cas de grève, et lourdes amendes pour les syndicats récalcitrants.

2000-2001 REFLUX DU PROLÉTARIAT

La conséquence de la politique conduite par DS, mais aussi de RC et du PDCI, chacun à sa manière, était inévitable. Aux élections régionales, le reflux du prolétariat se manifeste brutalement, d’autant plus que Forz italia s’est réconciliée avec la Ligue du Nord, obtenant ainsi plus de 50% des voix ; des accords ont aussi été passés avec alliance nationale.

Massimo d’Alema démissionne aussitôt, laissant la place à un dernier gouvernement –le cinquième depuis 1996– dirigé par Giuliano d’Amato, proche du petit parti SDI, et s’appuyant sur les même partis de l’Olivier, ou presque : Di Pietro vote contre, arguant que "Amato est l’héritier de Bettino Craxi".

La première échéance est celle d’une série de referendum prévus pour le 21 mai. Le plus important a trait à la suppression totale de la proportionnelle pour l’élection des députés, premier pas pour modifier la constitution.

Le 21 mai, c’est la débâcle : moins de 32% de votants quand le quorum impose un minimum de 50%.

Sur le fond, ce fiasco signifie que l’Olivier a échoué quant à son deuxième objectif essentiel : modifier fondamentalement la constitution. Sur ce plan, tout reste à faire, alors que le PDS et d’Alema en avait fait une question centrale.

Dès lors, la voie est ouverte pour que Berlusconi puisse reconquérir le pouvoir, reconquête d’autant plus facile que la ligue du Nord est de nouveau disponible à une alliance. Berlusconi observe la Ligue du Nord "a été indépendantiste mais, depuis qu’a été approuvée la monnaie unique, elle ne l’est plus. Elle est convaincue du fédéralisme, position que nous partageons et que nous ferons progresser" (juin 2000).

Berlusconi reconstitue donc une alliance, appelée cette fois-ci la Maison des libertés. Son programme est anti-ouvrier, sans fard (flexibilité, mesures anti-immigrés…) il n’y a guère de précaution à prendre, sa victoire est acquise.

MAI 2001 LE SECOND GOUVERNEMENT BERLUSCONI

Le 13 mai 2001, la victoire de Berlusconi est nette : 49,4% des votants pour la maison des libertés, qui emporte 368 sièges de députés.

Le reflux ouvrier est néanmoins limité, et le nombre de votants est relativement élevé, à la hauteur de l’enjeu que représentent ces élections : 82% de participation. Le précédent numéro de CPS a analysé de manière précise l’activité du gouvernement Berlusconi depuis un an, l’ampleur de son offensive contre le mouvement ouvrier, sa tentative de mettre au pas magistrature et moyens d’informations.

Contre cette offensive, une mobilisation d’une ampleur exceptionnelle s’est développée au printemps dernier, culminant avec la manifestation gigantesque du 23 mars à Rome, puis rebondissant avec la grève générale du 16 avril.

Ce après quoi les organisations syndicales ont repris les négociations, deux des trois confédérations signant finalement un accord avec le gouvernement Berlusconi. Celui-ci peut donc poursuivre aujourd’hui sa politique.

De ce point de vue, il n’y a pas d’identité entre le premier gouvernement Berlusconi et le second. En 1994, les dissensions au sein de la bourgeoisie étaient avivées par ce qu’impliquait la mise en place de l’euro. Et le gouvernement après avoir été ébranlé par la mobilisation du prolétariat avait été abandonné par la Ligue du nord.

Aujourd’hui, les contraintes du traité de Maastricht sont, provisoirement, surmontées, et l’équilibre au sein de la coalition gouvernementale n’est plus le même : Forza Italia y domine très largement ses deux alliés. Surtout, ce qui force l’actuel gouvernement Berlusconi, au moins jusqu’à aujourd’hui, c’est qu’à partir de1996, le gouvernement de l’Olivier a joué son rôle : bloquer, puis faire refluer le prolétariat, le désarmer politiquement en gravant dans sa conscience, l’idée qu’il n’y avait le choix qu’entre deux types de gouvernement possible, menant tous les deux, avec ou sans la participation des partis ouvriers une politique anti-ouvrière. Le désarroi qui en résulte est une arme pour Berlusconi.

En finir avec Berlusconi est une aspiration très forte parmi les travailleurs, la population laborieuse et la jeunesse italienne. Mais au profit de quel gouvernement ? D’un nouvel Olivier ?

C’est la question qui se posait à l’issue de la grève générale du 16 avril. En l’absence de tout parti ouvrier authentique, qui soit à même d’avancer cette perspective immédiate : grève générale pour chasser Berlusconi ! Rupture avec la bourgeoisie et tos ses partis ! Gouvernement de D.S, du P.R.C et de P.C.D.I ! Le gouvernement a pu reprendre sa politique avec l’appui des appareils syndicaux.

Le 24 mai, le " patron des patrons " italien exhorte le gouvernement à poursuivre les réformes pour rendre plus " flexible " le marché du travail et demande aux syndicats de reprendre les négociations interrompues.

En juin, c’est chose faite, Berlusconi ayant déclaré qu’il mettait " provisoirement de côté " la question de l ‘article 18 sur lequel s’était cristallisée la mobilisation ouvrière, cet article de loi dont Berlusconi voulait la suppression garantissait la réembauche d’un travailleur injustement licencié.

Aussitôt, les appareils syndicaux organisaient la division en se répartissant les rôles : ceux de la CISL et de l’UIL négociaient, puis signaient un accord avec le gouvernement tandis que ceux de la CGIL organisaient des grèves tournantes, région après région. Aussitôt, Francesco Rutelli, nouveau dirigeant bourgeois de l’Olivier, approuvait chaleureusement la reprise des négociations. Ce soutien ouvert à Berlusconi provoqua des remous au sein de Démocratie de gauche. Certains, comme Govino Angius, président du groupe DS au Sénat, demandèrent la démission de Rutelli ; mais ce n’était qu’un leurre : le vrai problème n’est pas que soit Rutelli, qui soit leader officiel de l’Olivier, coalition bourgeoise avec des partis bourgeois. Dès lors, le pacte signé en juillet avec les dirigeants de la CISL et l’UIL, de même que le maintien de l’Olivier comme pseudo-alternative politique, permet à Berlusconi d’aller plus loin dès septembre. Qu’on en juge. Le " pacte pour l’Italie " signé en juillet avec les dirigeants de l’UIL et la CGIL prévoit " une baisse de la pression fiscale pour les familles à faible revenus ". Le budget présenté en septembre pour l’année 2003 prévoit donc 5,5 milliards d’euros et la baisse d’impôts dont bénéficieraient, parait-il " les familles à faibles revenus ". On peut en douter. Mais même si cela était plus ou moins vrai, c’est au nom de la baisse de la pression fiscale que le même budget décide de réduire les dépenses d’au moins 20 milliards d’euros. Selon La Tribune du 1er octobre, qui évoque "un budget d’une extrême rigueur ", la santé et l’éducation seraient principalement touchées par ces coupes budgétaires. Et les embauches " à durée indéterminée " seraient gelées dans la Fonction publique.

On voit donc ainsi comment se combinent la politique des différents appareils syndicaux et celle des partis ouvriers pour entraver la classe ouvrière.

Pourtant, ces entraves ne suffiront pas à interdire de nouvelles mobilisations spontanées du prolétariat italien, dont on a vu la puissance, et qui est l’un des plus important prolétariat d’Europe. Certes, en l’absence de Parti ouvrier révolutionnaire, faute de pouvoir répondre - en terme de gouvernement - du Front Unique, transition vers un authentique gouvernement ouvrier à la question du pouvoir, la classe ouvrière ne pourra remporter que des succès partiels et provisoires, ne pourra imposer que des reculs momentanés à la bourgeoisie. Mais l’essentiel est que se dégage au cours de ces combats, les éléments permettant la construction d’un Parti ouvrier révolutionnaire, instrument plus que jamais indispensable au prolétariat italien.
 
 


DÉBUT                                                                                        SOMMAIRE - C.P.S N°91 - 5 OCTOBRE 2002